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Devoir de mémoire en CPGE

Par Silvana Frau, publié le dimanche 28 avril 2024 14:34 - Mis à jour le dimanche 28 avril 2024 14:34
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une rencontre qui compte

D'un « Atelier » à l'autre

Jean-Claude Grumberg et les étudiants de la CPGE du lycée Bourdelle (Montauban)

Devoir de mémoire à l'Internat d'excellence

Les élèves internes volontaires de la classe de CPGE (PTSI) du lycée Antoine Bourdelle ont eu la chance de rencontrer l'écrivain Jean-Claude Grumberg, projet porté par les superviseurs des internats d'excellence, Olivier Léglise et Sébastien Lepetit, qui proposent d'offrir une ouverture culturelle en dehors du temps scolaire.

A l'origine, la rencontre a été permise par le lien établi entre l'écrivain et l'association MALO (Mémoires à l’œuvre) dirigée par Marie-Laure Lepetit (IGEN), puis transmis aux enseignants et élèves de l'Académie de Toulouse par Caroline Bardet (IA-IPR de Lettres).

Enfant Juif sauvé grâce au secours des Justes de la maison des enfants de Moissac, Jean-
Claude Grumberg a gardé un attachement pour la région de Toulouse où il est revenu spécialement pour un spectacle et un échange bouleversants. Son œuvre, profondément marquée par la Shoah et le traumatisme de la déportation sans retour de son père et de ses grands-parents, a été découverte par les étudiants de la CPGE afin de préparer une rencontre qui s'est déroulée en deux temps.


Le 22 Avril, une lecture musicalisée de son conte La plus précieuse des marchandises, au
Théâtre du Pavé à Toulouse, a été donnée en présence du dramaturge par sa fille Olga Grumberg et le guitariste Jean-Pierre Petit. Le texte, inconnu des élèves à la demande de l'auteur et de l'interprète, a été dévoilé dans une grande émotion. La sobriété de la représentation a touché juste. La force de la périphrase du titre, une fois révélée, a gagné les consciences. La vie humaine y est menacée d'être réduite à néant par l'Holocauste avant un sauvetage in extremis qui redonne sa place à l'essentiel : l'amour de l'autre, même en pleine terreur.


Le 23 Avril, une rencontre a été organisée au lycée Gallieni à Toulouse, où un repas a été pris
avec l'auteur avant de se retrouver dans le CDI avec d'autres élèves et leur professeur ayant participé au projet.

Là, un dialogue avec l'écrivain et un hommage préparé par ses lecteurs ont été l'occasion de redire l'urgence de chercher des liens apaisés, loin de toutes les formes de discrimination qui sévissent tristement encore. L'humour et le plaisir pris à parler ont gagné le public malgré la gravité du sujet.


Les étudiants de Bourdelle avaient au préalable travaillé la pièce L'Atelier (1979) et le conte De Pitchik à Pitchouk : un conte pour vieux enfants (2023), textes habités par le traumatisme personnel et collectif, évoqué sous le double prisme du pathétique et d'un humour singulier. Durant plusieurs séances, un cercle de lecture a permis de réfléchir aux représentations associées à l'« atelier », lieu du bric-à-brac, de la recherche et de la création où les idées fourmillent et fusent de façon avant tout informelle. « Lieu d'origine du travail [1]» a dit Buren, lieu d'origine de la parole semble dire Jean-Claude Grumberg.
Tout d'abord au sens propre, comme lieu d'exploration et de mémoire, sorte d'empreinte des
souvenirs de l'auteur. En effet, Jean-Claude Grumberg a grandi dans une famille de tailleurs, métier de son père avant d'être déporté, métier de sa mère à qui la pièce est dédiée, métier qu'il découvre comme apprenti sans goût ni disposition, confie-t-il malicieusement, attendant plutôt d'être « viré » pour gagner quelques jours de lecture jusqu'à la prochaine embauche... Dans la pièce, l'atelier est un lieu où la parole se libère simultanément au travail des aiguilles, faisant apparaître les contradictions et les tabous de l'après-guerre. En refusant l'héroïsme et la grandiloquence, le dramaturge fait résonner la voix des humbles et le mot terrible de « déporté » dont la signification se conçoit, se comprend, se dissémine dans la pièce pour les personnages de la mère et de l'enfant à forte charge autobiographique : « nous n'attendions plus ayant appris peu à peu le sens du mot "déporté" » [2].

Au sens figuré ensuite, l'atelier a aussi été perçu comme lieu vocationnel mais d'une toute autre passion en germe : celle de la lecture,  avec un appétit dévorant de découverte chez le jeune apprenti, qui se muera en découverte de son propre désir d'écrire : « Tu sais, je crois que tu n'as pas la fibre pour devenir tailleur pour dames. Va plutôt du côté des livres si tu vois ce que je veux dire. Tu vois ce que je veux dire ? » [3].

Les étudiants ont mis en voix le texte liminaire de la pièce de L'Atelier avant de partager avec
l'écrivain leurs propres ateliers passés et présents. Ils ont enfin tenu à lui dire ce que signifiera désormais un « atelier » après avoir fréquenté son œuvre d'aussi près.
Ils avaient, en fin de restitution, préparé une petite vidéo (n'hésitez pas à cliquer pour visionner la vidéo) d'hommage mêlant des images de leurs ateliers scolaires quotidiens (de chimie, de sciences de l'ingénieur, d'informatique), aux ateliers familiaux de bricolage ou de couture comme dans la pièce.

Sur les images de bobines amoncelées, de lieux d'expérimentation où l'on cherche et discute, invente et découvre ce que l'on a à dire, un tango yiddish résonne comme celui sur lequel dansent les ouvrières dans la scène 4 de l'Atelier. À la toute fin, une interprétation au piano et au chant des « Roses blanches » par l'étudiante Marine Ansoé, reprend le leitmotiv de la pièce, en un dernier clin d’œil chargé d'émotion.

Bérengère Blasquez (professeur de Français-Philosophie en CPGE au Lycée Bourdelle)

[1]Daniel Buren, « Fonction de l'atelier » (1971), Ecrits, vol. 1, CAPC, Musée d'art  ontemporain, 1991.
[2]Jean- Claude Grumberg, L'atelier (1979), Étonnants Classiques, p. 33.
[3]Jean-Claude Grumberg, De Pitchik à Pitchouk : un conte pour vieux enfants (2023), Seuil (La Librairie du XXIème siècle), p.127.